LA PHRASE QUI TUE
Dans le contexte, le gars qui parlait ne s'est sans doute pas rendu compte de l'incongruité de ses propos.
Un travailleur social ou un bénévole de l'Armée du Salut ne considère sans doute pas qu'un type dans la misère doit prioritairement devenir un consommateur.
L'intervenant voulait juste expliquer qu'un pauvre est comme tout le monde, qu'il y a une importance à ne pas tout obtenir gratuitement pour celui qui reçoit, et qu'il est aussi reconnu comme faisant partie de la société parce qu'il y contribue en payant comme les autres.
En gros, il achète sa place, obtient un regard de l'autre qui le fait exister, se considère à nouveau en tant que personne. Bon, il y a beaucoup à dire sur cette forme de bien-pensance; devoir justifier son existence et son droit de vivre via le symbole de l'argent, mais ça serait un peu trop long de refaire le monde en un seul post.
Le drame, c'est la formulation et le choix du mot dans la bouche d'un homme côtoyant la misère. Malgré la bonne volonté, l'empathie, l'humanité qu'on lui suppose, le consumérisme ambiant l'a suffisamment atteint et conditionné pour qu'il emploie spontanément le terme "consommateur", à la fois comme une injonction, mais aussi comme un idéal à atteindre.
Un mec qui veut venir en aide aux autres, quoi!
Ça fait peur, mais passe comme une lettre à la poste dans un "reportage" de même pas 10mn visant à éduquer les foules, voire à toucher leur corde sensible.
'Pas le temps de se retourner qu'on y est déjà; frémissant à l'idée de finir comme ces pauvres filmés crevant la dalle, on songe à la prochaine liste de courses. C'est imparable comme méthode.
Merveille du conditionnement médiatique, magie de la télé... Mêler l'émotion à la directive capitaliste de CONSOMMER!
Et encore, là, je ne parle pas des pubs; celles-là, on se méfie plus quand on les voit arriver, il n'empêche qu'elles sont aussi efficaces dans le genre abrutissant.
Je n'ai pas de télé, et tant mieux!
Régulièrement, je dois le repréciser avec virulence au centre des impôts pour qui payer la taxe audiovisuelle coule de source. Un peu comme s'il était anormal de ne pas en avoir, voire suspect, (déclarer ne pas avoir de téléviseur signifie sans doute être un fraudeur en puissance; à notre époque, c'est impossible, comme ne pas avoir de téléphone ou d'ordinateur).
J'attends en ricanant l'éventuel passage d'un contrôleur zélé; dans mon trou perdu mes voisins doivent payer des antennistes agréés par leur fournisseurs internet EN PLUS de leur abonnement pour accèder à la boîte à images. Ça revient à cher d'être pris pour des veaux.
Pourtant, même prévenu, on se fait encore avoir.
Je viens de passer 15 jours en migration avec un poste allumé, le plus souvent en bruit de fond. Je me suis sentie agressée par les monceaux d'inepties déversées au quotidien.
Jusqu'où souhaite-t-on nous empêcher de penser tranquillement?
Même sans regarder, j'entendais. Et j'en ai entendu des énormités!
Via un objet destiné à être REGARDÉ, le décalage est d'autant plus flagrant.
Le manque d'habitude pousse involontairement à ÉCOUTER lorsqu'une phrase lancée négligemment vient assaillir en traître. Prises aux tripes, je tendais alors l'oreille, pour être sûre d'avoir bien compris.
Oui, la plupart du temps, j'avais bien compris.
Mais bordel, COMMENT peut-on accepter de payer une taxe pour une telle production de merde? Surtout, comment peut-on considérer une pollution mentale aussi flagrante comme normale et faisant partie de la vie?
Attention, je ne suis pas la dernière à regarder des navreries occupationelles, mais au moins, je les sélectionne, échappe à la pub, et n'en fais pas un besoin compulsif. Si je me farcis un JT, c'est plutôt pour savoir de quelle façon les nantis veulent qu'on pense, (connaître son ennemi).
Je ne crache pas sur tout, et pardon si je découvre l'eau chaude. Mais tout de même, une immersion aussi brutale créé son choc.
Tout est réalisé de façon si pernicieuse qu'on ne réagit plus, à force. Les sollicitations superficielles prennent le pas sur l'essentiel parce qu'elle sont permanentes. Une forme moderne de sorcellerie, où les mauvaises ondes censées causer la mort seraient si enchanteresses qu'on viendrait à réclamer de nous-mêmes le trépas de notre indépendance d'esprit.
Perso, ça me rend zinzin très vite si je confonds indifférence et passivité.
Non, je ne suis pas plus forte que les moyens énormes mis en oeuvre pour m'imprégner en profondeur de trucs que je ne pense pas ou dont je n'ai pas besoin. Ça serait de l'orgueil de croire que je ne fais pas éponge comme tout le monde.
Si, au contraire, je demeure vigilante, la violence qui est faite aux gens est si constante et meurtrière qu'elle me rend enragée. Mais être toujours en colère est plutôt épuisant.
Reste la solution de tout débrancher, (logique de survie), ou de tourner en dérision. Mais en aucun cas de laisser faire sans protester, à moins de considérer que se faire ronger jusqu'au dernier neurone est acceptable.
Paix, fleurs et chaleur sur vous.